Entretien avec Didier Porte, secrétaire confédéral de FO

La ministre du Travail, Myriam El Khomri, a posé les grands principes de sa réforme du code du travail le mercredi 4 novembre 2015, issus du rapport Combrexelle du 9 septembre 2015.

Lors de sa conférence du 19 octobre 2015, le Premier ministre, Manuel Valls, avait déclaré que le droit du travail est devenu « trop complexe et illisible ». Il propose donc de donner plus de souplesses aux partenaires sociaux en privilégiant la négociation dans les entreprises et les branches.

La question a été posée au secrétaire confédéral à FO, Didier Porte.

 

Comment se positionne la FO par rapport aux autres syndicats de manière générale et dans l’industrie ?

Le syndicat FO se positionne comme un syndicat réformiste militant c’est-à-dire que les accords sont signés uniquement s’ils confèrent aux salariés une avancée permettant une amélioration des conditions de travail. Dernièrement, la réforme sur la retraite complémentaire était « honteuse », ils ont reporté dans le privé à 63 ans l’âge de la retraite à taux plein, c’est pour cela que FO a refusé de signer le texte.

 

Comment percevez-vous la mobilisation syndicale de nos jours ?

De nos jours, la mobilisation syndicale est rendue difficile, en cause, notamment les évènements survenus le 13 novembre 2015 et l’instauration d’un « État d’urgence » qui confère aux autorités la possibilité de limiter les manifestations.

Le gouvernement n’écoute pas les organisations syndicales. Il les « méprise » en particulier lorsqu’il applique l’article 49-3 de la constitution pour faire passer des lois telle que loi Macron. De plus, il met en doute leur légitimité notamment en dénigrant dans certains discours le droit de grève, comme ce fut le cas pour la réforme des retraites en 2012-2013.

Il y a actuellement un manque de culture syndicale en France. L’action des organisations syndicales notamment sur le terrain n’est pas valorisée aux yeux des salariés. Ces personnes oublient que les avantages d’aujourd’hui sont le résultat des combats menés par le passé. Ceci est accentué par l’absence de relais des médias. L’origine des droits sociaux n’est pas connue.

Le modèle français du syndicalisme républicain et égalitaire soutenu par la FO offre une liberté de syndicalisation à la différence de certains pays européens. La France n’est pas dans une culture syndicalisme de masse contrairement à la Belgique par exemple. Cette différence n’est toutefois pas incompatible avec l’intérêt des salariés pour le syndicalisme puisqu’il y a une forte participation des salariés aux élections professionnelles. La politique n’engage pas au dialogue. Il faut que les politiques redonnent la légitimité aux syndicats. Jaurès disait « Il n’y peut avoir de révolution sans prise de conscience »

 

Avec la dépréciation de l’euro et de la baisse du pétrole, pensez-vous que les conditions sont propices à une reprise de l’économie industrielle en 2016 ?

Ces facteurs ne permettent pas d’offrir une reprise de l’économie même s’ils contribuent à une amélioration de la situation. Pour que l’économie reparte, il faut que le gouvernement change de politique. Il doit mettre en place une politique de la demande à travers une hausse des salaires afin d’augmenter la consommation et l’investissement. Les mesures prises actuellement telles que le CICE ne donnent pas de résultats. Par contre, il faut le reconnaitre que l’économie s’est mondialisée et nous dépendons d’autres facteurs.

 

Quel est votre avis sur la réforme du code du travail prévue par le gouvernement dont l’objectif est de rendre celui-ci « plus lisible » et de renforcer la culture du dialogue social en entreprise ?

Au départ, l’objectif était de rendre « plus lisible et plus accessible » le code du travail auprès des employeurs de TPE et PME. Le syndicat FO est favorable. Mais si c’est la seule raison, les syndicats patronaux devraient jouer leur rôle de conseiller auprès des employeurs comme nous auprès des salariés et en cas de difficultés juridiques, les entreprises devraient se tourner vers elles.

Le rôle du code du travail est de protéger les salariés, c’est fondamental. Il donne une égalité et une accessibilité à tous. Les accords collectifs viennent par la suite améliorer certaines dispositions.

Les dispositifs qui nous ont été présentés portant sur trois niveaux ne montrent pas la priorité et le lien entre eux. Lequel va s’imposer ? Où se placent les accords collectifs dans la hiérarchie des normes dans le projet du gouvernement ? La future réforme ne va-t-elle pas inverser cette hiérarchie en donnant la priorité aux accords d’entreprise ? Ce cas de figure peut-être étudié en Espagne/Portugal : la décentralisation du dialogue social aux accords collectifs a figé le débat. Ces accords pourront-ils revenir sur des droits et ainsi générer des inégalités entre les salariés sous couvert de l’emploi ?

Ils veulent balkaniser le code du travail pour inverser la hiérarchie des lois. André Bergeron parlait de « grain à moudre », aujourd’hui nous parlons de « veiller aux grains ».

L’architecture proposée ne pourra pas rendre le code du travail plus lisible. Si le code du travail est précis, la jurisprudence est encore plus précise. La simplification du code du travail ne doit pas être une remise en cause des droits. Ces bouleversements de la législation génèrent des inquiétudes pour les salariés. Nous sommes dans l’incertitude.

Notons que les conditions de signature d’un accord d’entreprise sont plus difficiles que pour un accord de branche : il y a une pression sur les représentants du personnel vis-à-vis des salariés et de l’employeur qu’on ne retrouve pas dans les branches.

 

La réduction du nombre de branches de 732 actuellement à une centaine d’ici 10 ans favorise-t-elle la négociation au sein des entreprises ?

La fusion des branches peut être une bonne chose notamment dans les branches où le nombre de salariés est réduit ce qui donnera un meilleur niveau de négociation. La réduction du nombre de branches est prévue pour 2020 soit dans 4 ans. Le rapport Césaro sera remis à la ministre prochainement portant sur la révision et la dénonciation des accords collectifs

Pour un souci de mutualisation, cette refonte peut aller contre l’intérêt des salariés : la bonne démarche à entreprendre, c’est :

  • Regarder l’intérêt du salarié ;
  • Puis s’aligner sur les meilleures dispositions ;
  • Observer les périmètres de représentativité pour rester cohérent.

Le rapport Badinter va dévoiler les grandes lignes sur ce qui va disparaitre au profit des négociations collectives. Le Rapport doit fixer les règles fondamentales.

 

Quel est votre sentiment sur les dernières réformes sur le dialogue social :

De la simplification des obligations de consultation du comité d’entreprise ?

Cette réforme souligne un paradoxe : la refonte du code du travail vise à offrir plus de négociations au sein des entreprises, mais dans le même temps le nombre d’informations/consultations est diminué.

 

De l’augmentation du seuil de 199 à 299 effectifs pour mettre en place une DUP (regroupement des DP, CE et CHSCT).

L’organisation syndicale FO est contre ce changement puisqu’elle vise à rassembler les IRP. Par conséquent, il y a moins d’élus et le nombre d’heures de délégation attribué dans cette entité est inférieur à des institutions séparées. La possibilité donnée aux entreprises de signer un accord dérogatoire pour les entreprises de 300 salariés et plus soulève un risque. Rien ne garantit qu’il n’y aura pas de pression sur les salariés pour la signature d’un accord.

 

Que pensez-vous de la mise en place de la mutuelle obligatoire dans les entreprises à compter du 1er janvier 2016 ?

L’idée initiale était bonne notamment en instaurant une clause de désignation dans les accords de branche relatifs au régime de protection sociale obligeant les entreprises à prendre la mutuelle désignée par l’accord. Ceci permettait de mutualiser les risques de la protection sociale à l’ensemble de la branche. Le texte final a supprimé cette clause par le Conseil constitutionnel sous couvert de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle.

 

Que pensez-vous de l’instauration d’une parité entre les femmes et les hommes au sein des instances représentatives du personnel ?

Nous sommes contre l’idée de quotas, mais pour la parité. Ce processus est compliqué à mettre en place. Il abandonne pour le coup la liberté de désignation : les qualités et les compétences des élus ne sont plus les premiers critères de sélection. De plus, ceci doit s’accompagner d’un bon fonctionnement des IRP.

 

Selon vous, quels sont les leviers de négociation qu’ils restent aux salariés malgré un contexte économique difficile ?

Malgré le contexte économique, la négociation est importante. L’ensemble des sociétés n’est pas en difficulté notamment celles du CAC 40 dont la stratégie est tournée vers les actionnaires plutôt que les salariés. Il faut continuer à négocier, le contexte ne doit pas jouer, mais il faut être réaliste par rapport à la situation actuelle.

Que préconisez-vous aux élus FO qui sont confrontés aux situations suivantes : rachat ou fusion de leur entreprise, mobilité géographique, liquidation de leur entreprise et en cas de plan de sauvegarde de l’emploi ?

La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, confirmée par la loi Macron du 6 août 2015, permet plus de flexibilité en cas de difficulté économique rencontrée par l’entreprise. Ainsi, les accords de maintien de l’emploi offrent la possibilité de déroger aux principes de faveur et l’employeur peut « imposer » sous l’aval de la DIRECCTE un PSE puisque l’avis des IRP n’est que consultatif.

 

Quels sont pour vous les dossiers forts de l’année 2015 et ceux de l’année 2016 ?

Les principaux dossiers de l’année 2015 sont les lois Rebsamen et Macron (travail dominical, réforme prudhommale…) et la négociation les retraites complémentaires.

Pour 2016, les réformes portant sur :

  • le code du travail présenté par la ministre El Khomri,
  • la médecine du travail,
  • le plafonnement des indemnités de licenciement,
  • la loi Macron 2 NOE ; rapport numérique.

 

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