La BDES, instaurée par la loi de sécurisation sur l’emploi de juin 2013, était la contrepartie, négociée par les syndicats signataires (CFDT, CFTC, et CFE-CGC) de l’ANI de janvier 2013, aux délais préfix de consultation des CE, voulus par les organisations patronales.
Quel bilan peut-on en tirer aujourd’hui, alors qu’elle est censée avoir été mise en place par les entreprises depuis juin 2014 ou 2015 selon leurs effectifs ?
Qu’en pensent les représentants des salariés ?
Une obligation
La mise en place de la BDES est obligatoire pour les entreprises qui emploient plus de 50 salariés. Et ce depuis juin 2014 pour les entreprises de plus de 300 salariés, et depuis juin 2015 pour celles ayant un effectif inférieur à ce seuil.
Dans le cas d’une entreprise à établissements multiples, les effectifs sont calculés au niveau global de l’entreprise, et non par établissement. La BDES comprend alors toutes les données collectées au niveau de l’entreprise, et non par établissement. Mais dans le cas d’établissements de plus de 50 salariés, elle contient aussi les informations mises à la disposition des comités d’établissement.
Les groupes d’entreprises ne sont pas tenus de créer une base de données unique spécifique au groupe. Mais s’ils en créent une, suite à un accord de groupe, cette base s’ajoute alors aux bases de données propres à chacune des entreprises constituant le groupe.
L’employeur a la charge de concevoir, élaborer, mettre en place et maintenir à jour la BDES, et d’en définir les modalités d’accès, de consultation, d’utilisation et d’actualisation. Il est possible que ces modalités fassent l’objet d’un accord collectif.
Pourquoi une BDES ?
Au départ, elle a été créée en 2013, pour contenir les informations nécessaires à la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise. Puis elle a été étendue par la loi Rebsamen d’août 2015, à l’ensemble des informations-consultations récurrentes des CE. Elle est le support de toutes les informations nécessaires à ces consultations. Cette extension a entrainé la suppression de l’obligation pour l’employeur d’établir des rapports pour ces consultations.
Elle est censée contribuer à donner une vision claire et globale de la formation et de la répartition de la valeur créée par l’activité de l’entreprise. Elle doit contenir toutes les informations communiquées de façon récurrente aux différents comités : CE, CCE, comités d’établissement, CHSCT.
Et aujourd’hui, quel bilan de cette BDES ?
Un échec ou une inefficacité voulue ?
En interrogeant les représentants des salariés, on se rend vite compte de leur insatisfaction globale vis-à-vis de cet outil, qui était censé au départ leur faciliter leurs missions.
En élargissant le cadre de cette BDES, la loi Rebsamen l’a transformée en un grand fourre-tout, dans lequel les IRP ont beaucoup de mal à circuler et à s’y retrouver.
De plus, pour les DRH, souvent chargées de remplir les rubriques et de leur réactualisation, elle est devenue une masse considérable de travail, pour laquelle elles sont souvent sous-équipées en moyens, humains et matériels.
Si les législateurs l’avaient laissée limitée à la consultation sur les orientations stratégiques, elle serait restée à une taille plus raisonnable, et donc plus utile à tout le monde. À moins, bien sûr que ce ne fut le but recherché : noyer les IRP sous des informations nombreuses, et disséminées dans des rubriques ne correspondant pas à leur utilisation, pour finalement, qu’ils se perdent dans ce dédale. Et ainsi avoir des consultations ou des négociations avec des informations moins précises et pertinentes. Par exemple, le bilan social est maintenant marginalisé dans une consultation-fleuve (celle sur la politique sociale). Il en est de même pour la consultation sur l’égalité professionnelle hommes-femmes. Auparavant, les CE devaient émettre un avis spécifique sur ces sujets. Maintenant, ils émettent un seul avis global sur une consultation énorme comprenant de trop nombreux sujets pour que celui-ci soit facilement pertinent.
Cela nuit aussi à la communication de cet avis du CE auprès des salariés. Comment ceux-ci vont-ils pouvoir retrouver ce que le CE pense du bilan social ou de l’égalité professionnelle dans l’entreprise, quand le même avis doit évoquer aussi par exemple, les conditions de travail, l’emploi et le plan de formation (avec notamment les handicapés, la durée du travail, les CDD, les stagiaires… et de nombreux autres sujets) ?
A moins que là encore, le but recherché, mais bien sûr non avoué, était de limiter les moyens d’analyse, de compréhension, d’expression et de communication des CE.
Aujourd’hui, il semblerait que près d’une entreprise sur 4 n’ait même pas de BDES. Et pourtant, la loi avait laissé un an aux entreprises de plus de 300 salariés, et 2 ans à celles de moins de 300, pour se préparer et la mettre au point.
Et parmi les entreprises qui ont une BDES, dans la grande majorité des cas, les retours montrent qu’elles sont largement incomplètes et ne remplissent pas les obligations légales.
Alors pourquoi cette situation ? Mauvaise volonté des employeurs ou trop complexe ?
Visiblement beaucoup d’employeurs considèrent cette obligation comme une charge de travail trop importante pour son intérêt et son utilité.
De plus, on notera la quasi-absence de sanction pour les entreprises : amende ridiculement basse, suppression, depuis la loi Macron, du risque de prison pour l’employeur en cas de délit d’entrave.
Autre raison possible : l’obligation maintenant faite aux IRP d’avoir recours au juge du TGI pour obtenir les informations manquantes :
- pour faire reconnaitre que ce manque d’informations empêche de fait de pouvoir donner un avis,
- pour demander au juge de prolonger le délai de la consultation
- ou pour déclarer que le délai préfix n’a pas commencé à courir
Combien de CE ou de CHSCT iront-ils devant le juge pour avoir communication des éléments prévus dans la BDES ?
Tout cela n’incite certainement pas les employeurs récalcitrants à être plus respectueux de la loi.
On peut s’étonner de l’absence de réactions des organisations syndicales nationales, alors que la BDES avait été présentée comme une contrepartie aux délais préfix (qui étaient une perte importante d’un moyen de pression sur l’employeur, pour obtenir les informations utiles à une véritable consultation, dans le but d’émettre un avis éclairé).
Mais de même, beaucoup d’élus de terrain ne réagissent pas à cette situation. Essentiellement par manque d’informations et de formations sur ce sujet. Ils ne savent pas ce qu’ils devraient trouver dans cette base de données. Ils se contentent donc de ce que leur Direction veut bien y mettre.
Pour ceux qui se sont investis dans le détail de la BDES, plusieurs études montrent que la majorité d’entre eux est insatisfaite de cet outil souvent inexploitable en l’état pour les représentants du personnel. En effet, elle est très souvent insuffisante comme on l’a vu, mais elle est aussi très peu pratique. On ne peut pas travailler véritablement sur les données, et elle est rarement, et souvent mal, mise à jour.
Quelles conséquences pour le dialogue social ?
C’est un véritable problème, car cet outil est censé être au centre des trois grandes consultations annuelles du CE. Le fait que les directions ne communiquent pas dès le début de la procédure de consultation, des informations complètes, précises et exploitables, ne laisse rien présager de bon sur la loyauté des informations-consultations et des négociations d’entreprise développées par la loi de Travail.
En tout cas, il est vraisemblable qu’on assiste à un recul sur des sujets comme la consultation sur le bilan social ou l’égalité hommes-femmes, qui étaient des sujets bien installés dans le dialogue social des entreprises. Il en est de même, pour la formation, qui bénéficiait de 2 réunions spécifiques très réglementées, et qui ont disparu avec la BDES, et leur rattachement à la consultation sur la politique sociale.
Les DS, aussi, sont impactés. Ils risquent de devoir négocier à l’aveugle, sans connaître l’environnement exact de l’entreprise et l’impact des changements qui leur sont proposés. Une négociation loyale suppose d’avoir ces informations, pour permettre un diagnostic fiable afin d’analyser ses propres marges de manœuvre. Certes, il est du ressort de ces organisations syndicales face à cette situation d’être plus exigeantes et de mettre davantage de pression sur les entreprises. Mais combien de DS aujourd’hui vont vraiment le faire, surtout dans les petites entreprises, où le taux de syndicalisation est faible ?
Que peut-on conseiller aux élus ?
Tout d’abord, il est vraiment important que les membres des CE, CHSCT, et les DS, soient bien informés et formés sur la BDES : son contenu, les obligations de la Direction, comment utiliser au mieux les informations… Il est donc capital pour pouvoir remplir correctement et utilement leurs missions qu’ils utilisent leur budget de fonctionnement pour faire des formations, notamment sur ce point.
De plus, à chaque fois que c’est possible selon les effectifs des élus, on peut conseiller de dédier au moins un IRP à l’examen et au suivi de cette BDES. Il deviendra l’interlocuteur de la Direction sur ce sujet.
Mais cela ne doit pas dispenser l’ensemble des membres des comités et des OS, d’aller très régulièrement consulter la BDES. Ils doivent apprendre à l’utiliser, se familiariser avec cette base de données, même si rien n’est vraiment fait pour leur faciliter la tâche. Trop d’élus aujourd’hui ne consultent pas ou peu la BDES de leur entreprise.
Ensuite, il pourrait être opportun que le CE s’empare de ce point à chaque fois qu’il constate un manquement aux obligations légales de l’employeur. Il devrait régulièrement mettre ce point à l’ordre du jour des réunions plénières. Il ne faut pas hésiter à remettre officiellement ce sujet sur la table systématiquement dès que c’est nécessaire.
De même, il est très important que les CE, CHSCT et les DS soient vigilants à chaque début de consultation ou de négociation. Ils devraient demander par écrit (ordre du jour de réunion, ou courrier), à la Direction de transmettre l’ensemble des informations nécessaires et, à défaut, de prévoir le prolongement ou le report de la négociation ou de la consultation. La communication auprès des salariés devenant alors un élément important pour obtenir satisfaction. Il en est de même de l’information de l’Inspecteur du Travail de ces difficultés.
Ensuite se pose la question du calendrier de la consultation sur la politique sociale. En effet, la complexité de cette consultation et le nombre de sujets en faisant partie est problématique. Les élus doivent demander à l’employeur suffisamment de temps pour traiter de façon approfondie tous les thèmes mentionnés. Nous leur conseillons même de demander à scinder cette consultation au moins en 2 réunions : par exemple, en séparant l’analyse de l’emploi, des conditions de travail et des rémunérations dans une première réunion, et de consacrer ensuite une deuxième partie à la formation. Cela permettra de rendre un avis global en ayant analysé tous les éléments, tout en respectant une durée de réunion réaliste et adaptée aux contraintes de chacun. En effet, devant l’ampleur de cette consultation, si les CE veulent traiter correctement ce point très important de l’entreprise en une seule réunion, il faudra prévoir de rester 2 jours pour une réunion de CE !!! Prévenez vos familles !!!
En interrogeant de nombreux élus, on se rend compte qu’un grand nombre de CE rend un avis avant le délai d’un mois prévu par la loi, et ce dès 15 jours. On peut donc vraiment conseiller aux élus de ne pas rendre leur avis trop vite, et aux DS qui négocieraient des accords pour définir les modalités de consultation, de ne pas signer d’accord raccourcissant les délais légaux minimum.
Enfin, il apparait évident, et dans l’intérêt des salariés et des IRP, que d’avoir recours à un expert-comptable, dans les cas prévus par la loi, ne peut que permettre d’obtenir les informations manquantes. Il faut donc prévoir cette désignation par un vote majoritaire des titulaires présents en réunion plénière, à chaque fois que la loi le prévoit.
En conclusion, que pourrait-on espérer pour demain ?
Il apparait, à l’usage du terrain, qu’en pratique la BDES telle qu’elle existe aujourd’hui n’est pas satisfaisante.
Elle ne peut satisfaire les IRP qui, soit n’ont pas accès aux informations qui leur sont nécessaires pour remplir efficacement leurs missions, soit n’arrivent pas à les retrouver aisément pour en faire l’analyse.
Pour beaucoup d’employeurs, elle représente une charge de travail très importante, alors qu’ils ne l’ont pas intégrée dans leur fonctionnement interne. Et pour certains, elle n’a eu pour effet que de limiter les informations données aux IRP, et donc d’appauvrir le dialogue social.
La BDES, en l’état actuel, ne peut permettre d’atteindre ses objectifs affichés.
La question se posera donc aux prochains gouvernants, soit de continuer de réduire les moyens d’informations et donc d’actions des IRP, en ne faisant rien pour améliorer cette BDES, soit de réfléchir à une BDES plus pratique, plus fonctionnelle, mieux organisée en fonction des consultations obligatoires par exemple. Par exemple, il pourrait être judicieux de limiter cette BDES à la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, comme prévue initialement. De même, le dialogue social ne pourrait être qu’amélioré si on revenait sur le regroupement des consultations créé par la loi Rebsamen.
Il serait peut-être temps que les politiques comprennent vraiment comment fonctionnent des instances qu’ils entendent réglementer.
La notion d’amélioration du dialogue social, prônée par beaucoup de nos hommes et femmes politiques, ne consiste pas seulement en une possibilité de négocier des accords de régression sociale au nom de la compétitivité, mais aussi dans une démarche globale d’échanges d’informations, d’idées, et de transparence entre les partenaires sociaux. Le tout pour avancer ensemble dans l’intérêt de tous, salariés et entreprises.
Pour plus d’informations sur la BDES en particulier, ou en général sur les règles de fonctionnement des CE, DP, CHSCT, ou DUP, n’hésitez pas à nous contacter.